Intelligence Artificielle : Une conférence avec Cédric Villani à Nice
L’a baie des Anges la nuit, avec le ballet des phares et lumières colorées qui vont et viennent, c’est un des souvenirs marquants de mon enfance. » À 50 ans, Cédric Villani aura pu ressentir une pointe de nostalgie, jeudi soir, en venant à Nice donner une conférence l’hôtel Anantara Plaza. Nice, la ville de ses grands-parents. Nice, où le lycéen en première fit son stage à Nice-Matin. C’était bien avant de décrocher la médaille Fields 2010, équivalent du prix Nobel pour les mathématiques.
Mais pour l’ex-député LREM, battu d’un cheveu en 2022 sous la bannière NUPES, l’heure n’est pas à la mélancolie. Plutôt à décrypter l’avenir que nous dessine l’intelligence artificielle. Le rapport Villani sur l’IA, rendu en 2018, l’a imposé comme une référence dans ce domaine. C’est donc devant une salle archi comble qu’il a clos le cycle des #IADates du Département des Alpes-Maritimes. Un territoire « particulièrement bien loti » à ses yeux, « avec l’un des quatre instituts interdisciplinaires d’intelligence artificielle (3IA) et toute une constellation d’acteurs compétents. »
Imaginons cette interview en 2023. Au rythme où progresse l’IA, seriez-vous encore présent ici même pour répondre aux questions d’un être humain?
Si c’est ici, en un lieu donné, ce sera presque automatiquement avec un être humain. Si c’est une IA qui devient reporter vedette à Nice-Matin, l’interview pourra se faire à distance ou en présence sans que cela ne change rien. C’est le fait d’être des humains qui apporte une valeur ajoutée, par un transfert de compétences et de savoir. On sait qui est la personne en face de soi. L’IA, on ne sait pas qui la fera, d’où elle viendra, si elle aura été piratée ou non… Or pour la société, l’information repose énormément sur la confiance.
L’irruption de ChatGPT il y a un an a été une claque collective?
Ça a été une claque pour tout le monde. Pour les spécialistes, ça l’a certainement moins été qu’il y a dix ans, quand on a vu arriver les réseaux de neurones et leurs extraordinaires performances. Mais pour le grand public qui a pu jouer avec, faire « waouh! », ça a été la vraie claque. C’est un sujet qui engendre bien des espoirs infondés… et craintes infondées.
L’IA incarne-t-elle une formidable opportunité, à condition de l’utiliser à bon escient?
Il ne faut pas surestimer ce dont elle est capable. Ni croire que cela va naturellement vous tirer dans la bonne direction. Les choix politiques, c’est à nous de les décider, pas à l’intelligence artificielle!
L’IA est un enjeu majeur pour la souveraineté future de la France et de l’Europe. Est-on dans les temps par rapport aux Etats-Unis ou à la Chine?
Les géants du numérique américain sont sortis renforcés de la crise de 2020 et de la numérisation accélérée du monde. Mais la France est en pointe en termes de potentiel. L’un des objectifs du rapport de 2018 était qu’elle intègre le Top 5 mondial; la Cour des comptes estime que nous n’y sommes pas, mais que nous sommes dans le Top 10. Et sans la stratégie mise en place par le gouvernement après mon rapport, nous serions bien plus bas! Elle a évité le déclassement.
Vous aviez identifié la santé comme un axe prioritaire. Quelles sont les applications concrètes de l’IA pour améliorer la médecine et la vie des gens?
Des diagnostics plus fiables sur un certain nombre de maladies. De l’annotation automatique d’images et de radios qui facilite la vie du radiologue. Des signaux d’une épidémie, des détections d’associations dangereuses de médicaments. Mais aucune de ces tâches n’a vocation à se substituer à un spécialiste! Ce sont plutôt des tâches d’assistance que de remplacement – ce qui n’est pas négligeable dans le contexte des hôpitaux surchargés…
En matière éthique, faut-il une CNIL ou un ARCOM de l’IA?
On a déjà tout ce qu’il faut. Le comité d’éthique recommandé par mon rapport a été mis en place. On a même plutôt un excès de conseils. Maintenant, le vrai enjeu, c’est la formation, les ressources humaines. Un système, même s’il rend de bons verdicts, ne sert à rien sans juge ni policier.
Question d’une application, IA Perplexity: « Pensez-vous que l’IA va créer ou détruire des emplois à l’avenir? Comment pouvons-nous nous y préparer? »
Ça va en détruire ET en créer. Plus d’un côté ou de l’autre, personne ne le sait. Mais il est très difficile de séparer l’IA du numérique en général. Il ne fait guère de doute que le numérique a détruit plus d’emplois qu’il n’en a créés. Dans le secteur médical, il est important que des humains continuent à soigner des humains. A contrario, pour un analyste qui fait des synthèses, l’IA est tellement forte que son travail est très menacé.
Quels conseils donneriez-vous au grand public, notamment aux jeunes, pour un bon usage de ChatGPT, Midjourney et autres?
Les explorer. Se lancer dans des projets avec. L’usage, la familiarité permettent d’enlever de l’anxiété et de se former. C’est un sujet qui s’apprend en le faisant.
L’IA peut-elle venir au secours des élèves français pour les maths, après la dégringolade constatée par l’étude PISA?
Les résultats sont mauvais, oui. Cependant, ils sont en baisse depuis trente ans. Pour l’instant, l’éducation reste une affaire très humaine. Les mooks, les logiciels de soutien en ligne, n’ont pas été la révolution annoncée. Jusqu’ici, les choses-clés dans l’Education restent humaines: l’émulation, la transmission de la motivation.
Qu’avez-vous pensé des outils proposés par Gabriel Attal, dont l’IA avec la start-up Evidence B?
Tout le discours du ministre est cohérent avec le rapport que j’ai rendu en 2018 au ministre d’alors. Il est juste un peu plus directif sur certaines préconisations. S’il y met davantage de moyens que son prédécesseur, alors on ne pourra qu’être optimiste. À la fin, c’est une volonté politique.